1. La distribution des lumières: voilà un drôle de titre. Comment l'avez-vous choisi ?
voilà un drôle de titre. Comment l'avez-vous choisi ?
Les manuels de peinture parlent de la distribution des lumières et des ombres pour définir la technique du clair-obscur. Dans son œuvre, Le Caravage (par
exemple) plaçait certains personnages dans la lumière, d'autres dans l'ombre, de manière à accroitre l’intensité, la violence de ses sujets. Dans mon livre, les personnages qui s’expriment (le
trio Aurèle Jérôme Pasquale) sont dans le champ direct du texte, mais l’être aimé : Anna, demeure le point focal dans l'ombre. Il en va de même pour les événements dont certains sont tus,
alors que d'autres sont mis en lumière, selon la même technique. Un autre aspect du texte est l’attirance de Jérôme, le jeune attardé mental pour les objets brillants, ceux sur lesquels il voit
la lumière danser. C’est donc un titre qui qualifie une part du sujet du roman mais plus encore la technique du texte.
Les personnages qui ont la parole (Aurèle, Jérôme, Pasquale) sont les amoureux d’Anna. C’est leur seul point commun, en dehors de ça, ils sont à l’opposé les uns et des autres. L’objet aimé (qui
finit par devenir vraiment un objet) est ce qui les réunit. A l’image du contrepoint en musique, leurs styles discordants s’unissent autour d’un thème. Marguerite Yourcenar dit une très belle phrase : Un roman est le portrait d’une voix. Je voulais ici faire le portrait
de 3 formes d’amour, aussi diamétralement opposées les unes aux autres et justement tellement opposées qu’il fallait que le lecteur les entendent : amour quasi éthéré de Pasquale, amour
obsessionnel d’Aurèle, amour désarmé et naïf de Jérôme. Écrit à la troisième personne ce texte aurait été trop descriptif, trop analytique.
Oui. Une critique a eu une très belle image que j’aimerais reprendre à mon compte : elle voit autour d’Anna une danse macabre. C’est tout à fait ça. Elle est au centre de ce tourbillon, même
si ses propos sont rapportés par moments par les protagonistes, elle est la vraie absente du texte. Et la future victime. C’est ce qui se passe quand on n’a pas la parole en règle générale.
C’est un ensemble. Les émeutes de 2005 sont la partie émergée de l’iceberg, ce qui me terrifie le plus c’est la banalité de la vie en banlieue, la marginalité forcée et l’habitat qui me fait
penser à un cercle dont on ne sort pas. L’impression d’être pris au piège.
Ce n’est pas l’objectif que je me fixe quand j’écris. J’ouvre les yeux et j’observe. Perversion, oui, et même perversité. Mais dans ce livre, elle est déployée chez tous les personnages (même les plus purs) à des degrés divers. Aurèle est une espèce d'adolescente monstre, je la vois comme une sorte de sauvageonne, une sorte de Mouchette de Bernanos. La perversité, chez Jérôme, est totalement inconsciente ; il est incapable de distinguer le bien du mal. Pasquale enfin, que je voyais comme le personnage civilisé du livre, ne peut pas choisir entre ses deux amours, il ne veut pas se séparer de son épouse italienne ni renoncer à son histoire d'amour avec Anna, celle-ci en souffre, et il le sait. Le mal que peut faire cet Italien raffiné prend une forme de bienveillance humaniste, compliquée. Chacun fait souffrir l’autre.
Le problème c’est que presque tout le monde est persuadé que le pervers, c’est l’autre, et ceux qui se donnent bonne conscience sont souvent les pires.
En réalité, c’est moins un sujet qu’un style. Il me semble intéressant d’aller
violenter la langue. En outre, je suis attirée en littérature par les états convulsifs que donnent à voir certains auteurs (je pense à Dostoïevski ou Nabokov entre autres qui sont les références
intertextuelles assez nettes dans ce roman). Ce sont les sentiments violents qui poussent à écrire. Prenez les pièces de l’Antiquité, elles sont violentes, inexorables, les personnages sont
perçus sur le vif, dans des états excessifs. Nos besoins sont toujours les mêmes : l’expression et la catharsis.
Comme dit Freud, il ne faut pas grand-chose pour que saute la couche de civilisation qui recouvre l’être humain.
Non, la jeunesse est peut-être même plus facilement bestiale. Mais pour Pasquale c'est le sens qu’il donne à son espoir. Il fait partie de ces gens qui se seraient opposé aux lois Sarkozy
concernant les peines de prison pour les mineurs. De même que jamais Pasquale n’approuverait la politique du tout sécuritaire. Qui protéger si ce n’est la jeunesse ? Elle est l’incarnation
de l’humanité, de notre avenir.
Je déteste les exercices de style.
Pasquale constate qu’il règne en Italie un climat de xénophobie (voir ce que les Roms et les sans-papiers entre autre ont subi), et de vulgarité (voir ce que Berlusconi dit des femmes, des
prostituées qu’il se paye avec l’argent public, et la bêtise des chaînes de télévision qu’il possède). Son découragement vient du fait qu’il a attendu la contre-attaque de la gauche italienne et
qu’elle n’est pas venue. Tout ceci est politique, mais comme le dit très bien le romancier Claudio Morandini, ce
constat est aussi anthropologique, il y a quelque chose de pourri dans nos sociétés dites civilisées, une décadence sociale.
Au contraire, j’ai déjà parlé de Sarkozy himself dans « Je » est bon parce qu’il est moi, texte publié dans Libération en juillet 2009 puis aux éditions du Seuil, j’ai mis en scène le
délire de toute-puissance d’un chef d’État qui porte le nom de notre Président et qui se sent au dessus des lois et des hommes. Mais je ne vais tout de même pas devenir une romancière
franco-française uniquement intéressée par l’hexagone. Et puis la critique de la politique française et en filigrane. Regardez ce que je dis des banlieues françaises…
Oui, particulière et j’ai tendance à l’étendre grâce à Claudio Morandini dont je parlais précédemment. Un
auteur : Pavese (Le bel été), un cinéaste Vittorio de Sica (Le voleur de bicyclette), un acteur : Mastroianni (l’ensemble de l’œuvre) et Cecilia Bartoli pour la chanteuse.
Absolument ! Jérôme Ferrari, Nathalie Kuperman, Alain Mabanckou, Alice Ferney, Harold Cobert, Amélie Nothomb, Philippe Forest. Et sans doute d’autres.