Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Stéphanie Hochet, le blog officiel

Presse,présentation, analyse des romans, articles, interviews littéraires


Berlusconisme, banlieues françaises, culture italienne, violences... Entretien avec Sébastien Levrier sur LeGlobeLecteur.fr

Publié par Stéphanie Hochet sur 30 Septembre 2010, 12:31pm

1. La distribution des lumières: voilà un drôle de titre. Comment l'avez-vous choisi ?
voilà un drôle de titre. Comment l'avez-vous choisi ?

ladistributiondeslumieres.jpgLes manuels de peinture parlent de la distribution des lumières et des ombres pour définir la technique du clair-obscur. Dans son œuvre, Le Caravage (par exemple) plaçait certains personnages dans la lumière, d'autres dans l'ombre, de manière à accroitre l’intensité, la violence de ses sujets. Dans mon livre, les personnages qui s’expriment (le trio Aurèle Jérôme Pasquale) sont dans le champ direct du texte, mais l’être aimé : Anna, demeure le point focal dans l'ombre. Il en va de même pour les événements dont certains sont tus, alors que d'autres sont mis en lumière, selon la même technique. Un autre aspect du texte est l’attirance de Jérôme, le jeune attardé mental pour les objets brillants, ceux sur lesquels il voit la lumière danser. C’est donc un titre qui qualifie une part du sujet du roman mais plus encore la technique du texte.

2. C'est un roman polyphonique, avec un trio de personnages assez différencié. Pourquoi avoir opté pour cette forme ?

Les personnages qui ont la parole (Aurèle, Jérôme, Pasquale) sont les amoureux d’Anna. C’est leur seul point commun, en dehors de ça, ils sont à l’opposé les uns et des autres. L’objet aimé (qui finit par devenir vraiment un objet) est ce qui les réunit. A l’image du contrepoint en musique, leurs styles discordants s’unissent autour d’un thème. Marguerite Yourcenar dit une très belle phrase : Un roman est le portrait d’une voix. Je voulais ici faire le portrait de 3 formes d’amour, aussi diamétralement opposées les unes aux autres et justement tellement opposées qu’il fallait que le lecteur les entendent : amour quasi éthéré de Pasquale, amour obsessionnel d’Aurèle, amour désarmé et naïf de Jérôme. Écrit à la troisième personne ce texte aurait été trop descriptif, trop analytique.

3. Celle qui relie tous les personnages les uns aux autres ne s'exprime pas. C'était un choix délibéré dès le début de l’écriture ?

Oui. Une critique a eu une très belle image que j’aimerais reprendre à mon compte : elle voit autour d’Anna une danse macabre. C’est tout à fait ça. Elle est au centre de ce tourbillon, même si ses propos sont rapportés par moments par les protagonistes, elle est la vraie absente du texte. Et la future victime. C’est ce qui se passe quand on n’a pas la parole en règle générale.

4. Dans certains passages marquants du livre, vous décrivez la vie en banlieue. Ce sont les émeutes de 2005 qui ont inspiré cette thématique ?

C’est un ensemble. Les émeutes de 2005 sont la partie émergée de l’iceberg, ce qui me terrifie le plus c’est la banalité de la vie en banlieue, la marginalité forcée et l’habitat qui me fait penser à un cercle dont on ne sort pas. L’impression d’être pris au piège.

5. Vos personnages atteignent souvent des sommets de perversion. Sentez-vous que vous dépassez certaines limites, bousculez certains clichés lorsque vous créez leur personnalité ?

Ce n’est pas l’objectif que je me fixe quand j’écris. J’ouvre les yeux et j’observe. Perversion, oui, et même perversité. Mais dans ce livre, elle est déployée chez tous les personnages (même les plus purs) à des degrés divers. Aurèle est une espèce d'adolescente monstre, je la vois comme une sorte de sauvageonne, une sorte de Mouchette de Bernanos. La perversité, chez Jérôme, est totalement inconsciente ; il est incapable de distinguer le bien du mal. Pasquale enfin, que je voyais comme le personnage civilisé du livre, ne peut pas choisir entre ses deux amours, il ne veut pas se séparer de son épouse italienne ni renoncer à son histoire d'amour avec Anna, celle-ci en souffre, et il le sait. Le mal que peut faire cet Italien raffiné prend une forme de bienveillance humaniste, compliquée. Chacun fait souffrir l’autre.

Le problème c’est que presque tout le monde est persuadé que le pervers, c’est l’autre, et ceux qui se donnent bonne conscience sont souvent les pires.

6. Dans tous vos romans, on retrouve cette forme plus ou moins extrême de violence. Pourquoi une telle obsession pour ce sujet ?

stephanie_hochet_je_ne_connais_pas_ma_force.jpgEn réalité, c’est moins un sujet qu’un style. Il me semble intéressant d’aller violenter la langue. En outre, je suis attirée en littérature par les états convulsifs que donnent à voir certains auteurs (je pense à Dostoïevski ou Nabokov entre autres qui sont les références intertextuelles assez nettes dans ce roman). Ce sont les sentiments violents qui poussent à écrire. Prenez les pièces de l’Antiquité, elles sont violentes, inexorables, les personnages sont perçus sur le vif, dans des états excessifs. Nos besoins sont toujours les mêmes : l’expression et la catharsis.

7. L'Homme serait-il foncièrement mauvais ?

Comme dit Freud, il ne faut pas grand-chose pour que saute la couche de civilisation qui recouvre l’être humain.

8. Vous faites dire à Pasquale, l’un des personnages du livre, qu'il n'y a rien de plus important que la protection de la jeunesse. La jeunesse, c'est encore le dernier rempart contre la bestialité ?

Non, la jeunesse est peut-être même plus facilement bestiale. Mais pour Pasquale c'est le sens qu’il donne à son espoir. Il fait partie de ces gens qui se seraient opposé aux lois Sarkozy concernant les peines de prison pour les mineurs. De même que jamais Pasquale n’approuverait la politique du tout sécuritaire. Qui protéger si ce n’est la jeunesse ? Elle est l’incarnation de l’humanité, de notre avenir.

9. Il n'y va pas de main morte pour critiquer le berlusconisme, l'assimilant à une forme de fascisme. La distribution des lumières, c'est aussi un engagement politique ou simplement un exercice de style ?

Je déteste les exercices de style.

Pasquale constate qu’il règne en Italie un climat de xénophobie (voir ce que les Roms et les sans-papiers entre autre ont subi), et de vulgarité (voir ce que Berlusconi dit des femmes, des prostituées qu’il se paye avec l’argent public, et la bêtise des chaînes de télévision qu’il possède). Son découragement vient du fait qu’il a attendu la contre-attaque de la gauche italienne et qu’elle n’est pas venue. Tout ceci est politique, mais comme le dit très bien le romancier Claudio Morandini, ce constat est aussi anthropologique, il y a quelque chose de pourri dans nos sociétés dites civilisées, une décadence sociale.

10. Pourquoi avoir opté pour une critique du berlusconisme ? Vous ne vouliez pas parler du cas français ? Il y avait pourtant des choses à dire...

Au contraire, j’ai déjà parlé de Sarkozy himself dans « Je » est bon parce qu’il est moi, texte publié dans Libération en juillet 2009 puis aux éditions du Seuil, j’ai mis en scène le délire de toute-puissance d’un chef d’État qui porte le nom de notre Président et qui se sent au dessus des lois et des hommes. Mais je ne vais tout de même pas devenir une romancière franco-française uniquement intéressée par l’hexagone. Et puis la critique de la politique française et en filigrane. Regardez ce que je dis des banlieues françaises…

11. Vous avez un attachement particulier à la culture italienne ? S’il ne fallait retenir qu’un auteur ? Qu’un cinéaste ? Qu’un acteur ? Qu’un chanteur ?

Oui, particulière et j’ai tendance à l’étendre grâce à Claudio Morandini dont je parlais précédemment. Un auteur : Pavese (Le bel été), un cinéaste Vittorio de Sica (Le voleur de bicyclette), un acteur : Mastroianni (l’ensemble de l’œuvre) et Cecilia Bartoli pour la chanteuse.

12. Revenons en France. C'est la rentrée littéraire en ce moment. Vous allez lire quelques livres du cru 2010 ? Lesquels ?

Absolument ! Jérôme Ferrari, Nathalie Kuperman, Alain Mabanckou, Alice Ferney, Harold Cobert, Amélie Nothomb, Philippe Forest. Et sans doute d’autres.

 

http://www.leglobelecteur.fr/index.php?post%2F2010%2F09%2F29%2FCeux-qui-se-donnent-bonne-conscience-sont-souvent-les-pires%2C-St%C3%A9phanie-Hochet-en-interview 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents