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Stéphanie Hochet, le blog officiel

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l'analyse de l'écrivain italien Claudio Morandini sur "La distribution des lumières"

Publié par Stéphanie Hochet sur 29 Août 2010, 07:35am

Sintonie: "La distribution des lumières" de Stéphanie Hochet

Le septième roman de Stéphanie Hochet, La distribution des lumières (les manuels de peinture parlent de la distribution des lumières et des ombres pour définir la technique du clair-obscur), se meut comme un polar aux tons introspectifs autour d’une paire de meurtres – comme un polar sans en être un. Stéphanie ne cherche pas à respecter les lois du genre mais plutôt à les utiliser pour travailler à sa propre vision du monde. Outre l’exploration du mal et l’analyse du crime comme conséquence irrémédiable des actions et des pensées humaines, les thèmes sont ici plus vastes et plus fluctuants.

Entre autre, le thème politique, qui dans le roman de Hochet devient un acte d’accusation d’une clarté surprenante, presque violente, contre la dégénérescence de l’Italie berlusconienne. Le personnage au travers duquel s’exprime ce « J’accuse » est un exilé volontaire, Pasquale Villano, qui, dégoûté et épouvanté par le piège qui a capturé l’Italie, quitte Aoste pour la France. Son geste est la concrétisation de ce désir de fuite que, depuis quelques années, beaucoup d’Italiens qui ne se reconnaissent pas dans l’idéologie dominante expriment seulement en paroles. La vision pessimiste de ce Valdotain au nom curieux est très claire et son dégoût sincère, non seulement idéologique mais aussi anthropologique, est très bien décrit – l’Italie de Berlusconi est à ses yeux une Italie peuplée de beaucoup de petits Berlusconi. Son exil peut être interprété comme un renoncement, une déception, et comme le début d’une rébellion, un geste dans l’attente d’une possible révolution, pour le moment seulement rêvée –cette ambiguïté donne sa complexité à ce personnage, une sorte de noblesse presque héroïque, même si elle demeure incomprise.

L’angoisse exprimée par Pasquale n’est pas seulement liée à l’Italie. On sent que Hochet se reconnaît en elle et se sert de l’Italie berlusconienne comme paradigme d’une situation générale: à travers Pasquale, l’auteur évoque une dérive planétaire vers le pire. Dans sa fantaisie anti-sarkozienne « Je » est bon parce qu’il est moi, publiée dans Libération puis aux éditions du Seuil, Stéphanie avait déjà mis en scène cette angoisse scandalisée face au délire de toute-puissance d’un homme qui se sent au dessus des lois et des hommes. La distribution des lumières travaille ce thème plus fort encore.

L’autre thème qui parcourt le roman est le déracinement: non seulement celui de Pasquale, mais aussi celui de sa femme Elsa qui reste en Italie – une Italie dans laquelle elle se sent exclue et ne se reconnaît plus. C’est aussi le déracinement d’Aurèle, né du fait de se sentir irrémédiablement mise à l’écart (à l’écart du centre, en périphérie, en banlieue, en dehors du temps et du monde des adultes, en tant qu’adolescente). Il est question d’une condition persistante et commune à tous les personnages du roman: le sentiment étouffant d’être pris au piège. 

Un autre thème fort et prépondérant est le désir. Un désir qui est besoin physique de proximité, de contact, d’attention sinon d’amour. C’est un besoin qu’éprouvent tous les personnages, et que tous cherchent à satisfaire d’une manière ou d’une autre – un besoin féroce, surtout dans l’esprit d’Aurèle et dans les gestes obsessionnels de son frère attardé, Jérôme. 

Dans l’esprit d’Aurèle, ce désir prend la forme d’un élan vers la suprématie : sur Jérôme parce que le frère est un matériau ductile, un instrument au travers duquel réaliser ses propres buts; sur Anna, en tant qu’objet distant et distrait d’une passion amoureuse; sur Pasquale en tant qu’obstacle à son plan de séduction d’Anna. Sa suprématie s’exerce à travers l’art de la manipulation, qu’Aurèle connaît bien et qu’elle ne cesse de perfectionner: chez Jérôme, Aurèle manipule les fantasmes, les impulsions, les pensées, réinventant la réalité autour de lui et des autres personnages. Mais cette imposture, pourtant inquiétante, sonne bien modeste et presque justifiable, parce que les premières pages du roman ont déjà hurlé avec la voix de Pasquale le scandale d’une manipulation plus grande, plus délétère, accomplie par un politicien et ses acolytes sur un pays entier. 

Aurèle est une adolescente complexe, retorse, l’héritière de figures puissantes et dérangeantes comme Embrun et Karl Vogel; vorace, perverse et essentiellement amorale, observatrice habile, à l’intériorité riche de fantasmes (Hochet recourt beaucoup au lexique du fantasme et de ses dérivés dans ces pages, et pour cause). Elle est à sa façon une petite intellectuelle, nous le découvrons avec surprise: elle lit et cite Nabokov, paraphrase l’incipit de Lolita en l’adaptant aux circonstances (en s’identifiant à Humbert Humbert et en faisant d’Anna l’objet de son désir, et du nom d’Anna l’objet d’un viol verbal, rhétorique et énigmatique).

La distribution des lumières est un roman polyphonique, on pourrait dire même contrapuntique : l’auteur elle-même recourt plusieurs fois à cette similitude avec la complexité de la construction du contrepoint – lignes multiples qui bougent ensemble ou en discordance, mais toujours à la recherche d’un équilibre. Trois voix bien caractéristiques alternent la narration, se complétant ou se contredisant: celle de Pasquale, celle d’Aurèle, celle de Jérôme. En même temps que ces trois solistes, on sent résonner en sympathie une quatrième voix (Anna), et même une cinquième (Elsa, l’épouse italienne de Pasquale). Seulement à la fin, au moment de tirer les conclusions, surgit la voix détachée et objective du narrateur externe, qui raconte froidement le matériau narratif qui s’était fait incandescent.

http://ombrelarve.blogspot.com/2010/08/sintonie-lultimo-romanzo-di-stephanie_26.html

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