Deux Femens apostrophent les religions

Publié par Stéphanie Hochet

Défendre les femmes

Venue d’Ukraine d’où elle est persona non grata depuis une action féministe, Inna Shevchenko (26 ans) est la figure majeure du mouvement Femen, elle a été rejointe dans la lutte par Pauline Hillier (29 ans).

Elles sont souvent décriées. Souvent à tort. Caricaturées parce que leur mode d’expression est exactement ce que la société a toujours tenté de juguler chez les femmes : le corps et la parole publique. On a voulu faire des Femens un portrait de militantes hystériques et écervelées. Ce n’était pas les connaître et c’était tenter de les discréditer. La parole, elles la prennent aujourd’hui avec cohérence pour éclaircir les motivations de leurs combats. De leur expérience de jeunes Européennes féministes, les Femens ont rapidement constaté qu’elles avaient un adversaire récurrent : les religions abrahamiques. Et elles ne mâchent pas leurs mots pour le signifier : Nous avançons, quant à nous, à contre-Coran et à contre-Bible.

Les religions ont modelé nos sociétés depuis des siècles pour réguler les relations entre les sexes et convaincre les femmes qu’elles sont bien le deuxième sexe, qu’elles passent donc après les hommes. Plus encore, les injustices, les violences dont les femmes sont victimes dans le monde se justifient régulièrement au nom d’une des trois religions et les fanatiques, qu’ils soient Juifs, Catholiques ou Musulmans, n’oublient pas de citer des passages de la Bible ou du Coran pour justifier l’enfermement des femmes dans les maisons, les coups qu’elles reçoivent ou plus symboliquement leur moindre éducation. Le point central c’est bien sûr le corps des femmes qui a été et demeure l’enjeu crucial, l’obsession des religions. De ce corps, chaque partie peut être isolée et décortiquée, analysée telle qu’elle est perçue par l’enseignement monothéiste. Inna et Pauline se proposent de passer au scanner le corps des femmes et de faire le bilan de la maltraitance.

Cela commence, bien entendu, par la tête. Et de pointer le problème de la notion de blasphème. L’invention du « sacré » rend les préceptes intouchables. Une croyante n’est donc pas censée remettre en question les préceptes sexistes des religions. Et d’aborder la question du voile dont l’absence devrait faire « honte » aux femmes musulmanes selon les islamistes. Ce voile ne protège pas les femmes du harcèlement dans les états religieux, bien au contraire, ces dernières connaissent des violences répétées et prennent des risques en sortant même voilées dans la rue. Les religions se sont immiscées dans la vie des couples et tendent à faire de l’homme le Dieu de la femme. A elle de lui être « soumise » et à la religion de régenter la sexualité. Après la tête, les seins, le cœur, le ventre, les mains. Nous avons compris que ce qui dérange le plus ce ne sont pas nos corps nus, mais nos corps qui s’expriment. Nous brisons, par nos messages corporels et nos slogans criés à gorge déployée, toute une tradition religieuse de la docilité et du silence féminin. Et de dénoncer la fulgurance du rétropédalage puritain des démocraties modernes sur la question du droit à l’avortement, de la PMA pour toutes, du mariage homosexuel etc. Mais, les Femens se félicitent aussi des rébellions des femmes du monde entier dont certaines adoptent leurs modes de manifestation, s’appropriant leur corps devenu porteur de leur révolte. Par sa justesse, son ton, à la fois vigoureux et souvent drôle, ce livre donne à voir les Femens telles qu’elles sont : un mélange détonant et nécessaire de Simone de Beauvoir et Rosa Luxembourg.

S.H.

Anatomie de l’oppression d’Inna Shevchenko et Pauline Hillier

258 pages

Editions du Seuil

Février 2017